Ces Voix d’Amazonie qui résistent aux géants du pétrole…
En Equateur, petit pays d’Amérique Latine membre de l’OPEP, le pétrole est la deuxième ressource économique du pays. Si l’exploitation pétrolière a permis à l’Etat d’investir dans des programmes sociaux, elle se fait trop souvent au détriment des communautés autochtones qui vivent sur les territoires exploités et voient leurs conditions de vie se dégrader.
Pourtant, certains de ces peuples d’Amazonie font preuve d’une résistance exemplaire face aux géants du pétrole. C’est le cas notamment des communautés Cofane, Secoya et Kichwa de Sarayaku, qui luttent pacifiquement depuis des décennies pour préserver leurs modes de vie et leurs territoires, avec à la clé quelques victoires historiques.
Découvrons le parcours de ces femmes et ces hommes qui, avec courage et détermination, font entendre leurs voix en Amazonie équatorienne.
Table des matières
1. Un pays tiraillé entre pétrole et protection de la nature
L’Equateur est le premier pays au monde à avoir inscrit les droits de la nature dans sa Constitution, en 2008. Une décision visionnaire qui témoigne de l’importance accordée à la protection de l’environnement dans ce pays abritant une partie de l’Amazonie.
Pourtant, l’Equateur est également le plus petit membre de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole). Et le pétrole représente aujourd’hui la deuxième ressource économique du pays, après le cacao. Autant dire qu’un dilemme cruel se pose : comment concilier croissance économique via l’exploitation pétrolière et préservation des écosystèmes et modes de vie traditionnels ?
Longtemps marqué par une grande pauvreté et des inégalités abyssales, l’Equateur a pu investir les recettes du pétrole dans des programmes sociaux indispensables depuis 2007 :
- Réduction de la pauvreté de 37,6% à 22,5%
- Baisse du taux de chômage de 6,1% à 4,5%
- Augmentation du salaire minimal de 170 à 366 dollars par mois
- Gratuité des soins de santé et de l’éducation
Des résultats spectaculaires permettant l’émergence d’une classe moyenne dans ce pays de 17 millions d’habitants.
Difficile donc pour le gouvernement équatorien de se priver des revenus du pétrole. D’autant plus que l’exploitation des gisements amazoniens est relativement peu coûteuse, ce qui en fait une manne financière de premier plan.
Une exploitation pétrolière au détriment des populations et de l’environnement
Mais le revers de la médaille est terrible. En Amazonie équatorienne, les incidents écologiques et sanitaires liés aux rejets toxiques et aux fuites de pétrole se multiplient :
- Pollution des sols et des cours d’eau, rendant l’eau impropre à la consommation
- Disparition d’espèces animales et végétales
- Explosion de pathologies comme les cancers ou les fausses-couches
Les habitants des zones exploitées, principalement des communautés autochtones vivant traditionnellement de la pêche, de la cueillette et de l’agriculture, sont ainsi les premières victimes de ces activités extractives menées depuis les années 60-70.
Un paradoxe d’autant plus révoltant que ces populations ne bénéficient nullement des retombées économiques du pétrole dans leur région. Au contraire, elles assistent, impuissantes, à la destruction de leur environnement vital et de leur culture séculaire…
2. Le difficile combat des indiens Cofane
Premier peuple rencontré par les réalisatrices du documentaire « Voix d’Amazonie », le peuple Cofane compte aujourd’hui moins de 1500 membres. Autrefois nomades, ils sont contraints depuis l’arrivée des compagnies pétrolières à se sédentariser le long des rives du fleuve Aguarico et de ses affluents, dans le Nord-Est de l’Amazonie équatorienne.
Une catastrophe humaine et environnementale
Le territoire Cofane a en effet été lourdement exploité depuis les années 70 par le consortium pétrolier américain Texaco-Gulf (racheté depuis par Chevron). En 2011, Chevron a d’ailleurs été condamnée à verser 9,5 milliards de dollars pour les dégâts environnementaux causés en Amazonie, soit la plus grosse amende jamais attribuée dans une affaire d’atteintes à l’environnement!
Mais le mal est fait: selon une étude menée en 1993, sur les 189 puits ouverts par Texaco entre 1964 et 1990, seuls 37 ont fait l’objet de mesures élémentaires de protection de l’environnement. Les conséquences sur les populations locales sont dramatiques:
- Taux de cancers 30 fois supérieur à la moyenne nationale
- Rejets toxiques massifs dans les fleuves, indispensables à la survie des indiens
- Déforestation intense
- Disparition de nombreuses espèces végétales et animales dont dépendaient les Cofane
Une lutte permanente pour préserver leur culture
Malgré ces conditions de vie effroyable imposées par des décennies d’exploitation, le peuple Cofane n’a jamais renoncé à son identité et à ses traditions. La résistance pacifique mais déterminée est au coeur de son action.
Les Cofane mènent ainsi sans relâche diverses actions pour préserver leur mode de vie et leur culture, gravement menacés:
- Pétitionsinternationales avec succès contre certaines compagnies pétrolières
- Recours juridiques pour obtenir réparations, avec l’appui d’ONGs
- Campagnes de replantation d’arbres et espèces disparues
- Sensibilisation des jeunes générations pour maintenir les traditions
Malgré des moyens dérisoires face aux mastodontes industriels et à l’inertie des pouvoirs publics, les Cofane puisent dans leurs racines ancestrales la force de continuer, jour après jour, à faire résonner leur voix en Amazonie.
3. Le combat exemplaire du peuple Sarayaku
Autre peuple rencontré par l’équipe du documentaire, et sans doute le plus célèbre à l’international: le peuple Kichwa de Sarayaku.
Vivant en harmonie avec la forêt dans le centre de l’Amazonie équatorienne, ce peuple amérindien de quelque 1200 âmes s’est constitué en communauté autonome sur son territoire ancestral de 135 000 hectares.
Une victoire retentissante devant la justice internationale
Dans les années 2000, l’Etat équatorien octroi un permis d’exploration de pétrole à une compagnie argentine sur une partie du territoire Sarayaku, sans même consulter la communauté. Celle-ci décide alors de mener une résistance pacifique sur son territoire, notamment en occupant les sites prévus pour l’exploration.
Après des années de négociations sans résultats, Sarayaku décide en 2003 de porter l’affaire devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Puis en 2004, devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, une juridiction internationale compétente pour sanctionner les violations des droits fondamentaux sur le continent.
En 2012, et fait sans précédent pour une petite communauté amazonienne, le peuple kichwa de Sarayaku obtient gain de cause contre l’État équatorien!
Un jugement historique qui protège juridiquement leur territoire ancestral et ouvre la voie à des compensations financières et des excuses publiques.
Un modèle pour l’avenir
Fort de cette incroyable victoire juridique, Sarayaku est devenu un emblème de la résistance écologiste en Equateur et bien au-delà. De nombreuses communautés s’inspirent de son modèle pour défendre leurs droits.
Mais Sarayaku prône aussi un modèle alternatif de développement, en harmonie avec la nature et basé sur sa cosmovision séculaire. Au coeur de celle-ci, le « Sumak kawsay » ou « bien vivre ensemble » en français.
Ce concept propose une vision du monde centrée sur l’être humain qui vit en communion avec la Terre nourricière, le monde spirituel et les autres communautés. Appliqué au développement économique et social, il inspire de nombreux projets écologiques et solidaires à Sarayaku:
- Agriculture durable pour assurer l’autonomie alimentaire
- Production artisanale de biens issus de la biodiversité locale
- Tourisme éthique et contrôlé pour faire connaître leur culture au monde
- Système éducatif alternatif valorisant la culture ancestrale
Autant d’initiatives faisant de Sarayaku une vitrine d’un mode de vie à la fois traditionnel et tourné vers un futur écologique et solidaire.
4. L’éducation pour sensibiliser les jeunes générations
Dans leur lutte au quotidien pour la préservation de leurs modes de vie, de nombreuses communautés amazoniennes en Equateur misent sur un outil primordial: la transmission de leurs valeurs et de leur culture ancestrale aux nouvelles générations.
Un moyen efficace pour assurer la continuité de leur identité et de leur vision du monde, gravement menacées par la pression économique et culturelle liée aux activités extractives.
Valorisation des savoirs traditionnels
Dès le plus jeune âge, les enfants sont ainsi initiés par leurs parents et grands-parents à la cosmogonie, la pharmacopée, l’artisanat et les techniques agricoles ancestrales. Des savoirs fondés sur une connaissance fine de l’environnement amazonien transmis oralement depuis des siècles.
Parallèlement, de nombreuses communautés ont développé des systèmes éducatifs alternatifs, où la culture et la philosophie amérindiennes occupent une place centrale à côté des matières classiques (langues, mathématiques, etc).
Sensibilisation des jeunes aux enjeux actuels
Les programmes scolaires integrent également une sensibilisation poussée aux défis contemporains : changement climatique, mondialisation, mouvements migratoires, acculturation…
L’objectif est de donner aux jeunes indiens une double culture leur permettant de dialoguer avec le monde extérieur pour mieux défendre et promouvoir la vision de leur peuple.
De nombreux jeunes sont ainsi partie prenante, aux côtés des anciens, des actions de résistance pacifique contre les compagnies pétrolières. Mais aussi des projets alternatifs visant l’autonomie alimentaire, énergétique ou économique de leur communauté avec des modes de production écologiques.
5. Un documentaire engagé
C’est pour donner voix à ces combats que trois jeunes femmes passionnées, Lucile Alemany, Lamia Chraibi et Margerie David, ont entrepris de réaliser le documentaire « Voix d’Amazonie, au coeur des résistances amérindiennes ».
Ensemble, l’anthropologue, la directrice artistique et la sociologue ont effectué depuis 2012 de nombreux séjours sur le terrain, tissant des liens avec les communautés Cofane et Sarayaku notamment.
Leur ambition: rendre compte par l’image et le son du quotidien et des combats de ces peuples; mais aussi de leurs solutions alternatives pour préserver leur culture séculaire et leur territoire. Un document vidéo engagé donc, mais surtout porteur d’espoir!
Un financement participatif réussi
Pour mener à bien ce travail titanesque, les trois réalisatrices ont pu compter sur la mobilisation du public grâce au financement participatif. En 45 jours, pas moins de 200 contributeurs ont permis de lever 7600 euros via la plateforme KissKissBankBank.
Au-delà du soutien financier, cette campagne a surtout permis de créer une véritable communauté engagée autour du documentaire. Plusieurs milliers de personnes suivent désormais l’actualité du projet sur les réseaux sociaux et relaient l’information dans leur réseau.
Preuve que le sujet interpelle le grand public et qu’il existe une demande pour ces histoires de résistance positive!
Un impact médiatique à venir
La phase de tournage étant à présent terminée, le documentaire rentre en post-production avant une sortie prévue en 2020.
Grâce aux financements complémentaires récoltés, l’équipe entend assurer à son oeuvre les meilleures chances de visibilité auprès du public francophone et au-delà:
- Sous-titrage professionnel en 3 langues (français, anglais, espagnol)
- Envoi dans de nombreux festivals